Les activités humaines dans la région d'Auzat-Vicdessos sous l'ancien régime sur la période du XVIe-XVIIIe Siècle


Depuis le Moyen Age, la montagne était partagée entre d'immenses domaines sylvo-pastoraux et de petites propriétés paysannes. La location de pâturage pour le "bétail étranger", l'activité de forge qui était source de grands profits et l'exploitation de la forêt constituaient les grands axes de ressources des grands domaines. La forêt, alimentant les forges en charbon de bois, était intensivement exploitée par les grands propriétaires. Elle constituait aussi le domaine collectif où s'exerçaient les droits d'usage compensant l'exiguïté de la propriété paysanne. On avait le droit de couper le bois à usage domestique, de chasser, de pêcher, cueillir des baies et d'amener le bétail en pâture. Ces grands domaines, propriétés des comtes de Foix puis du Roi, étaient gérés par les puissants consulats de Tarascon, Vicdessos, Siguer.

  1. La concentration des terres agricoles :
    Les terres cultivables ne représentaient guère que 13% du sol de Haute Ariège et notamment 10% en Vicdessos. Les terroirs étaient de petite taille et très morcelés. A la fin du XVIIIe siècle, les exploitations n'excédaient pas 5 hectares dans le Vicdessos en raison de la grande densité de population. Les notables pouvaient en détenir au plus 10 hectares. Sous la pression démographique, il y eu une conquête permanente de terres ingrates qui conduisit à une déforestation massive dans le fond de la vallée du Vicdessos.

    La Noblesse continuait à tenir son rôle de propriétaires terriens. Mais une classe émergeante se distingue : c'est la bourgeoisie urbaine. Enrichis par leur activité de marchand, d'homme de loi et d'officier des villes, les bourgeois achetèrent des terres, des moulins, des forges souvent après avoir été fermier. Ils participèrent au mouvement de concentration foncière qui s'opéra durant tout l'Ancien Régime. La plus haute bourgeoisie des villes avait une ou plusieurs métairies et était devenue les plus gros propriétaires des villages environnants s'appropriant toutes les bonnes terres. Dans la vallée du Vicdessos, au milieu du XVIIIe siècle, les maîtres de forges et négociants en fer, par le biais des ventes à pacte de rachat, avaient mis la main sur les terres des ouvriers et journaliers qui devinrent leurs fermiers. Par leurs investissements, ils participèrent aussi à l'essor industriel. Leur réussite sociale était consacrée par achat d'une seigneurie qui leur apportait le prestige en s'associant à d'ancienne famille.

    Grace à l'exploitation de leur grand patrimoine foncier en pratiquant le métayage, la spéculation sur l'élevage par la
    gasailhe qui devint un instrument de prêt à intérêt, ainsi que par le produit des moulins et des forges, la bourgeoisie associée aux nobles des villes acquièrent la maîtrise de la vie économique. Elle monopolisa les fonctions municipales et provinciales. Par exemple, à Vicdessos, régnaient les familles Vergnies et Ville de Bénagues tous maître de forges.
  2. Les cultures :
    L'agriculture, qui était une polyculture de nécessité produisant l'aliment et le vêtement quotidien, permettait une vie autarcique dans un environnement rude.

    La production céréalière était à base de seigle, d'avoine, d'orge, de millet et d'un peu de froment. Le millet, rustique et à gros rendement, servait de base aux bouillies quotidiennes. Les espèces primitives traditionnellement cultivées furent remplacées par le sarrasin au XVIIe siècle et le gros millet ou blé d'Espagne. Le maïs venu d'Amérique fut introduit au XVIIIe siècle. Ces productions restaient une occupation familiale, même si l'excédent, au sein des villages, pouvait se monnayer ou se troquer.

    La moisson s'effectuait avec une faucille ou une faux équipée d'une
    grilhos (grille de bois ou de fer forgé) destinée à coucher les épis en javelles. On disait que la faux était montée en javeleuse. Puis on nouait les gerbes avec le liadou qui était un bâton à gerber.
    La moisson terminée, on préparait l'aire de battage en badigeonnant une cour préalablement balayée avec de la bouse de vache fraîche que le soleil asséché. On battait le grain à l'aide d'un flagel qui était un fléau à battant long et mince. Le grain se libérait ainsi de l'épi.
    Après un ratissage soigneux, les grains étaient séparés de la paille et des particules végétales avec le
    rusco qui était un van en peau de chêvres ou d'isard et le curbel qui était un crible en peau percée à l'emporte-pièce ou en vannerie. Les maisons possédaient un ou plusieurs arcos qui étaient des sortes de cofffes mal aérés qui nécessitaient des brassages périodiques afin d'éviter la moisissure du grain. Par la suite les sacs en lin ou chanvre remplacèrent ce mode de stockage.
    Le grain était transformé en farine au moulin ou pour les petites quantités broyé dans un mortier de pierre. La farine était tamisé avec le
    sedas ou avec le cernidou qui était un moulin à bluter utilisé surtout dans les moulins et dans les familles relativement aisées.
    Depuis la charte de1293 "en raison des services inestimables rendus par la vallée au Comte", le comte Roger-Bernard III avait accordé aux habitants de la vallée du Vicdessos " le droit de construire des fours pour cuire le pain ou toute autre denrée dans leur maison ou en tout autre lieu". Dans les villages, chaque maison, au niveau d'une protubérance architecturale, détenait un four à pain.

    Le haricot, les lentilles, les pois, les fèves, furent les principaux légumes. L'arrivée de la pomme de terre vers 1770 révolutionna les habitudes alimentaires et de culture. On cultivait aussi le lin et le chanvre, la vigne et des arbres fruitiers comme le pommier, le noyer, le châtaignier, le figuier, le pêcher. Ces cultures de fruitiers sont aujourd'hui jugées inadaptables en altitude.

    Grâce à la fumure animale, les paysans en montagne alternaient cultures sur cultures avec plusieurs récoltes différentes par an sur le même terrain. Ils faisaient aussi des cultures sur brûlis loin de leur village et s'entendaient entre eux pour partager la servitude de l'espace montagnard.

    L'agriculture était vivrière et l'élevage était la seule source de revenu paysan. On élevait porcs, volailles, chèvres ainsi que de petits chevaux robustes du même type que le cheval de Mérens réputés pour le bât jusqu'au triomphe du mulet au XVIIIe siècle.

    Le cheptel le plus important était constitué d'ovins et bovins qui produisait du lait, du fromage et de la laine. Les éleveurs tiraient aussi un revenu de la plus value de la vente du bétail qu'ils détenaient ou qui leur était confié.
  3. Le domaine pastoral :
    Il est constitué de la montagne et de la forêt :
    1) - La montagne offrait le pacage d'été et les récoltes de "farouch", de seigle vert et de feuilles sèches qui constituaient la nourriture d'hiver.

    La montagne était divisée en "
    place" avec au centre "l'Orry "de pierres sèches entouré de l'enclos à bétail "la jasse" ou "courtal" ; leur utilisation faisait l'objet de règlements précis qui en cas de non respect engendraient des conflits.

    La transhumance réglait la vie pastorale. Les grands domaines et petits éleveurs faisaient converger leur bétail en altitude l'été et à l'entrée de l'hiver, les troupeaux regagnaient la plaine ou étaient gardés à l'étable par les petits éleveurs. L'estive durait du 1er Mai au 1er Novembre et les troupeaux d'ovins et de bovins se déplaçaient de jasse en jasse pour laisser l'herbe repousser en fonction de l'altitude.

    Le haut Vicdessos se singularisa par un individualisme extrême où chaque famille possédant son Orry déplaçait son habitat l'été. La famille entière allait vivre l'été dans des
    "bourdaous " qui étaient des granges étables.

    2)- La forêt fournissait l'herbe du sous-bois, la litière, l'abri en mauvaise saison et la nourriture accessible entre estive et stabulation. Les droits d'usage étaient régis par les chartes médiévales auxquelles se sont adjoints des accords entre communautés et vallées.

    La forêt composant l'essentiel du paysage participa au développement de la vallée. Faute de voie navigable pour écouler le bois d'œuvre, les arbres étaient abattus pour satisfaire la consommation locale. Elle se réduisit assez rapidement en raison des coupes usagères, des incendies pastoraux, du défrichement lié à la surpopulation et surtout à cause des forges qui dévastèrent les pentes du Vicdessos. On exploitait la forêt comme une ressource naturelle inépuisable.
  4. L'activité sidérurgique :
    L'activité agro-pastorale était étroitement liée à l'activité industrielle. La vallée fournissait l'eau, le bois, les mines et carrières. Les hommes qui ne pouvaient se suffire des ressources de la terre utilisaient leur temps disponibles l'hiver dans les activités associées à la sidérurgie.

    La mine du Rancié s'imposa vite par la qualité de son fer et la précieuse régularité de sa production. Elle offre l'exemple d'une exploitation communautaire de la mine qui était un droit d'usage des habitants de la vallée depuis 1293. Les minerons de Sem, Goulier, Olbier (jusqu'à 300 hommes au XVIIIe siècle) extrayaient le minerai, les voituriers de saleix le transportaient, les marchands de Vicdessos le négociaient. Chaque mineur disposait du produit de son travail, mais la "
    police de la mine" était collective et ces règlements stricts étaient garantis par les jurats nommés par les consuls. Les mineurs restaient avant tout des paysans qui trouvaient dans la mine un complément de revenu. L'activité extractive était donc archaïque sans une recherche de rentabilité.

    Cette organisation était la même aux mines de fer de Lercoul et aux ardoisières de Siguer.

    La haute richesse du minerai favorisa le développement et l'exploitation de forges qui ne cessèrent de s'améliorer. Le moulin à fer médiéval à force hydraulique, perfectionné sous la forme "
    biscayenne" au XVIe siècle, devint forge à la catalane (on aurait pu dire ariègeoise) avec l'apparition de la trompe au moins en 1776. Une chute d'eau actionnait la trompe qui était une haute caisse de bois de trois à quatre mètres de haut, qui par une tuyère envoyait l'air en une soufflerie rudimentaire dans le creuset. Une roue à aube entraînait le marteau "mail". Des perfectionnements continus permirent d'atteindre des productions de 80 kilos de fer par feu au XVIIe siècle et de 120 kilos au milieu du XVIIIe siècle, attestant de la réputation du savoir faire des forgeurs ariègeois.

    Le XVIe siècle, vit l'expansion de l'industrie du fer avec une quarantaine de mouline dans l'ensemble en Haute Ariège. Mais avec la crise de l'approvisionnement en charbon, les moulines cessèrent plus ou moins temporairement leur activité. L'amélioration des forges à la catalane, plus économiques en charbon, ajusta les besoins d'approvisionnement mais le problème subsistait. Il fallait que la production de charbon s'effectue dans des vallées jusque là préservées comme la vallée de l'Aston, chassant petit à petit les bergers. Néanmoins, il y eu une lente diminution de l'activité des forges avec moins d'une trentaine de forges à la fin du XVIIIe siècle. Le Vicdessos préserva ces forges en tant que bassin traditionnel. Les forges faisaient vivre un nombre non négligeable de familles. Même si elles faisaient travailler sept à huit mois par an, parfois moins, une forge avait un impact économique important. Elle faisait vivre à la fin du XVIIIe siècle une centaine de familles, les forgeurs, les mineurs, charbonniers, muletiers, voituriers.

    En raison de la mévente du fer, des problèmes d'approvisionnement en charbon, de la pratique de hauts salaires en Espagne, les forgeurs ariègeois émigrèrent à la fin du XVIIIe siècle.

    En 1786, le comté de Foix produisait environ 2600 Tonnes de fer qu'il exportait à l'état brut dans d'autres contrés.
  5. Les voies de communication et les relations commerciales:
    Il n'y avait guère de routes carrossables avant le XVIIIe siècle. Les sentiers muletiers très nombreux rendaient les conditions de voyage très périlleuses. Au port Siguer entre Andorre et Tarascon, il n'y avait que des rochers dans lesquels on a pratiqué des escaliers. Au port de Bouet dans le Haut Vicdessos, il fallait tenir la tête et la queue des bêtes. Les chemins étaient à la merci des dégradations de toutes sortes ou des intempéries qui emportaient les nombreux ponts en bois entretenus par les villageois.

    Les Etats de Foix s'attaquèrent au problème des routes au XVIIIe siècle en lançant un programme d'ampleur avec des crédits qui passèrent de 200 Livres en 1739 à 180 000 Livres en 1787. Les routes du Rancié et de Vicdessos ouvertes en 1756 furent inscrites dans les priorités.

    Le progrès des voies de communication rendit le commerce très actif. Situés aux débouchés de la montagne productrice de fer et de bétails et de la plaine productrice de grains et de vin, les marchés et plus encore les foires de Haute Ariège étaient fort animés.

    A Tarascon et Vicdessos, le trafic de la mine était intense. De là, partait le minerai et là, arrivait le charbon qu'on faisait venir de plus en plus loin. Depuis 1347, l'échange entre le minerai du Rancié et le charbon du Couseran animait sans trêve les ports de Suc et de Saleix.

    Marchands et muletiers, bergers et troupeaux mais aussi colporteurs, ouvriers, saisonniers, mendiants franchissaient régulièrement la frontière qui n'était pas encore la barrière qu'elle deviendra. Il existait une grande unité de vie de part et d'autre.

    La France et l'Espagne furent en guerre durant presque tout le XVIIe siècle. Cette situation entraine une insécurité pour les habitants là où les gens en armes stationnaient pour garder les frontières. Il s'ajoutait des frais d'entretien des gens en armes à la charge des communautés qui devaient s'endetter lourdement.

    Au delà des péripéties des histoires de frontière, l'unité de vie persistait grâce au maintien de l'originalité des "
    lies et passeries". Ces accords entre vallées garantissaient le commerce, le pacage et la sécurité des personnes même en temps de guerre entre les états. Depuis 1293, les passeries étaient très vivantes entre Valferrer et Vicdessos. Les députés espagnols venaient chaque année à Vicdessos le dimanche après la Saint-Jean rendre hommage au Roi de France et prêter serment de fidélité au consul du lieu. Ils offraient un souper au maire, aux quatre consuls, à cinq conseillers et à trois autres notables. Chacun pouvait inviter quelqu'un d'autre mais à ses frais. La communauté à Vicdessos offrait à son tour une collation après "avoir fait le tour de danse et rempli les autres usages". Le rituel était respecté ; l'obligation d'entretenir les chemins l'était moins, ce qui entraina des conflits.
    Siguer et Miglos toutes les deux liées à Ordino festoyaient à la Saint Jean, date de la transhumance tout en rendant hommage au Roi et en prêtant serment aux consuls. La communauté de Siguer offrait un repas le jour de l'arrivée des délégués d'Ordino et deux repas le lendemain avec danse au programme. A Siguer comme à Miglos, on jouait aux quilles et ceux qui perdaient (c'étaient toujours les Andorrans) payaient à boire.
    Même si d'autres relations de commerce étaient faites par ailleurs, les trois traités de Vicdessos, Miglos et Siguer furent en Haute Ariège de véritables passeries, faisant des vallées concernées de réelles zones neutres.
  6. La démographie :
    En raison de l'absence de documents de recensement fiables, il est impossible de faire une évaluation précise de la population. On peut tout au plus donner des tendances. La population est stagnante puis recule à la fin du XVIIe siècle puis remonte rapidement pour ralentir à la veille de la Révolution. Le taux d'accroissement aurait été moins élevé en montagne qu'en plaine. Le taux de natalité se situait aux environs de 33% en 1774. L'augmentation de la population était davantage due à la baisse de la mortalité chez les adultes qui vécurent plus vieux. La mortalité était toujours élevée chez les enfants et les jeunes. La poussée démographique dans la région du Vicdessos est évidente au regard de la pression du développement de l'activité lié au fer, le défrichement des pentes du Vicdessos et la conquête de terres cultivables.

    La population qui tirait ses ressources de la terre, était fragilisée par l'incertitude des récoltes provoquant disettes et famines. Des villages pouvaient être décimés par les épidémies et les hausses des denrées liées aux mauvaises récoltes. Des paysans faméliques choisirent l'exode temporaire ou définitive vers les contrées plus riches de Toulouse, du Languedoc, d'Espagne et jusqu'aux ports de Bordeaux, Sète et Marseille où ils pouvaient embarquer pour des destinations plus lointaines comme la Guadeloupe, le Québec, la Martinique etc… Ils s'offrirent comme brassiers ou alors tentèrent leur chance dans le domaine de leur savoir faire comme moissonneurs, vendangeurs, bergers, forgeurs, charbonniers, mineurs, bûcherons...

    L'amélioration des conditions de vie au XVIIIe siècle avait amené un accroissement de la population qui fut trop importante par rapport à la capacité de la vallée du Vicdessos à les nourrir. La dégradation du niveau de vie, les tensions sociales et le mécontentement grandissant allaient être le terreau de la Révolution.


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