L'exploitation minière de Rancié

 

coupe de l'exploitation de la mine de Rancié

  • A) L'exploitation primitive de Rancié

Pendant plus de vingt siècles, la mine de fer de Rancié sur le territoire de la commune de Sem, fut le principal fournisseur de minerai de fer du Midi. Située au Mont Rancié qui culmine à un peu moins de 1600 m (d'où le nom de la mine), l'exploitation du fer s'est faite sur une montagne qui représentait un monolithe de minerai de "pierre ferrue" (expression dite par les mineurs). Le minerai disposé en "loupe" et entouré d'une gangue de calcaire, affleurait parfois à l'air libre après le travail de l'érosion. La qualité de ce minerai, essentiellement constitué de pure hématite rouge ou brune associée à de l'oxyde de manganèse, permettait d'obtenir des aciers réputés peu oxydables.
Le gisement de Rancié a probablement suscité de l'intérêt dès les premiers temps de la métallurgie du fer entre le VI e et le V e siècle avant notre ère. A cette période, il ne s'agissait que du simple ramassage du minerai de surface en vertu du primitif droit de cueillette.
Jusqu'à la fin du XIV siècle, l'exploitation du minerai était gérée par les dispositions de "l'Universalité du Peuple du Vic-de-Sos" qui était une sorte de petite république montagnarde, quasi indépendante, comparable à celle des Vallées d'Andorre.
D'une simple activité de cueillette du minerai, on arrive à l'exploitation au pic des filons affleurant. Les mineurs s'attaquèrent d'abord au sommet de la montagne du Rancié constituant une large excavation que l'on appelle "La Tranchée". En effet à ce niveau, l'érosion de la gangue calcaire avait mis à nu les "loupes" de minerai. On a estimé qu'au cours des quinze siècles d'exploitation, les mineurs ont décapé environ deux millions de tonnes de minerai.

  • B) La Charte de 1293

La reconnaissance du droit d'exploitation du fer par les habitants de la vallée fut précisée par des chartes comtales qui devaient remonter aux origines du Comté de Foix autour du XI è siècle. Mais ce fut la charte de février 1293 accordée par Roger Bernard Comte de Foix à "l'Université et à chaque habitant de la Vallée de Sos", qui confirma avec le plus de clarté la garantie de Droits et de Libertés.
Cette charte reconnaissait l'existence de l'administration particulière de la Vallée, à savoir la liberté d'élire chaque année, comme ils avaient l'habitude de le faire de temps immémoriaux, quatre consuls choisis parmi les notables et chargés de gérer les intérêts de tous.
De plus, elle reconnait, pour tout habitant et sous le contrôle de la direction des consuls, le droit
- de travailler dans les mines de la Vallée.
- de fabriquer et d'aiguiser tout instrument de fer
- de faire du charbon de bois
- d'exporter le fer hors de la Vallée
L'ensemble de la vallée bénéficiait de l'existence de la mine ; Les mineurs de Goulier, Olbier, Sem extrayaient le minerai. Les voituriers qui conduisaient des mulets appartenaient aux autres villages. Ils transportaient le charbon de bois, le minerai et le fer une fois travaillé. Les forgeurs étaient installés dans la vallée à Auzat et Vicdessos.
Peu à peu, les conditions d'exploitation du minerai se modifièrent au fil des siècles. Les affleurements supérieurs du Rancié s'épuisèrent et il fallut entreprendre le creusement de galeries pour atteindre les "loupes" d'hématite au sein de la montagne. Plus l'altitude de l'ouverture de galeries était basse sur le Rancié et plus la gangue de calcaire stérile qui entourait le minerai était épaisse.
A ce stade, ce ne pouvait plus être une individualité mais une œuvre communautaire longue et pénible sans profit immédiat qui pouvait mener à bien une telle entreprise. Or lorsque le filon était découvert, rien ne s'opposait légalement à ce que des mineurs, qui n'avaient pas participé à sa découverte, viennent l'exploiter ; Ce qui était le prétexte à des bagarres. Certains filons étaient rapidement épuisés laissant à l'abandon de vastes poches vides. Le Mont Rancié était ainsi devenu un énorme gruyère favorisant des effondrements spectaculaires.

  • C) Le règlement de la mine de 1414

La demande de fer augmentant en raison de la Guerre de Cent ans, le Comte de Foix promulgua en août 1414 un premier règlement codifiant les principes d'exploitation de la mine de Rancié. Ces dispositions, qui devaient remettre un peu d'ordre dans les pratiques commerciales, restèrent en vigueur durant près de trois siècles.
Il fut désigné à vie, par les consuls et le Bayle (représentant du Comte de Foix), un corps de quatre préposés aux mines assermentés que l'on appelait "jurats". Ces agents de l'autorité devenaient de véritables directeurs d'exploitation. Ils désignaient le lieu d'extraction aux équipes de deux mineurs. Ils établissaient la quantité de hottes de minerai ou "voltes" à extraire (une volte contenait environ 60 Kg de minerai). Ils étaient chargés de contrôler l'état du chantier, le poids et la quantité du minerai mis en vente. Les jurats étaient très pointilleux car ils étaient rétribués sur la huitième partie des amendes infligées aux mineurs en infraction.
Ainsi, depuis ce règlement de 1414, les mineurs se retrouvèrent sous le joug des représentants des Maitres de forges, en particulier les consuls et leur courroie de transmission en la personne des jurats. Le mineur devait subir tous les arbitraires et passe droits liés à leurs conditions. Les familles de Maitre de forges constituaient un véritable "patriciat". Ils détenaient les fonctions officielles, études notariales, bureaux d'usure, entrepôts de minerai, commerces et en particulier de denrées alimentaires et des biens fonciers. Les regroupements de familles de maitres de forges, actionnaires de la dizaine de forges de la vallée, constituaient l'aristocratie dite des "coulias". Ce furent ces familles, les véritables maitres de la vallée de Vicdessos et de la mine de Rancié.
Ils avaient mis au point une technique particulièrement adroite d'exploitation des mineurs. Les consuls qui les représentaient se réservaient la fixation du prix du minerai, non en fonction d'offrir un salaire décent aux mineurs et en phase avec la réalité économique, mais en fonction du prix de revient le plus bas possible. Les maîtres de forges et les entreposeurs du minerai étaient les seuls interlocuteurs de commercialisation. Ils géraient d'importants entrepôts à Cabre. Ils pouvaient se permettre de différer les achats aux mineurs afin de les forcer à vendre le minerai en dessous du prix plafond. Lorsqu'ils achetaient, les Maître de forges ou leur représentants pesaient le minerai avec des poids ou bascules truqués. Ils ne payaient pas le minerai comptant mais tenaient des livres de compte qu'ils falsifiaient parfois. Ils rémunéraient les familles de mineurs de préférence en nature, en échangeant des produits alimentaires de première nécessité. Ces denrées non seulement de qualités inférieures et souvent avariées étaient décomptées à des prix comprenant un bénéfice de plus de 50%.
Le mineur de Rancié, qui vivait au jour le jour était aussi victime de la pratique de la vente à pacte de rachat. Le mineur-paysan avait quotidiennement besoin d'avances pour faire vivre sa famille souvent nombreuse. Les "coulias" amenaient les mineurs à s'endetter au-delà de leurs possibilités du paiement des intérêts. Etant également maîtres des études notariales, ils faisaient contracter des emprunts hypothécaires qui aboutissaient à l'expropriation des quelques biens des mineurs, tels que la maison et surtout les champs qu'ils travaillaient en dehors des heures de travail à la mine. Le "coulias" qui avait une priorité de rachat récupérait le bien à un prix bon marché, car le mineur ne pouvait se libérer de sa créance. Le mineur pouvait rester sur ses terres à condition de payer un prix de location.
Ainsi l'exploitation de la mine de Rancié fit naitre deux classes sociales : une classe exploitée, les mineurs, qui devenaient de plus en plus pauvres et une classe exploitante, les maîtres de forges, qui accumulaient les richesses sur le dos des mineurs.

  • D) Le règlement de la mine de 1731

Au début du XVIII è siècle, des données nouvelles émergeantes susciteront des convoitises hégémonistes sur l'exploitation de la mine.
Les progrès de l'économie capitaliste d'une part, et l'essor démographique de la vallée d'autre part, créèrent une situation explosive qui se résolut par une révolution dans l'administration de la vallée et ensuite par la promulgation d'un nouveau règlement de la mine.
Il y avait un antagonisme latent entre les villages non mineurs et les villages mineurs de Goulier, Sem, Olbier qui étaient représentés par un Consul sur quatre au gouvernement de la Vallée. Le 24 juin 1706, un véritable coup d'état politique eut lieu à Vicdessos au conseil politique. Les trois quarts de ses membres qui n'appartenaient pas au Corps des Mineurs, décidèrent de nommer eux mêmes les quatre Consuls qui auparavant étaient élus au suffrage direct. Ainsi l'administration consulaire tombait entre les mains du "Patriciat".
De plus le pouvoir royal promulgua le 21 août 1731 un nouveau règlement de la mine qui confirma la place du "Patriciat" local dans l'activité de la mine au détriment des mineurs.
Ce règlement reprit celui de 1414 :
Les jurats désignaient 20 mineurs par jour chargés des entretiens indispensables.
Les jurats étaient garants du respect des horaires de travail
- de 8 h à 19 h le soir entre le premier Mars et le 30 Novembre
- de 9 h à 16 h le soir entre le premier Décembre et le premier Mars
Les jurats étaient chargés de déterminer les réparations à entreprendre et de veiller au respect des piliers de soutènement pour prévenir les effondrements.
Les jurats devaient aussi vérifier la qualité du minerai et fixer le nombre de "voltes" de minerai devant être extraites par chaque mineur.
La demande en fer devenant de plus en plus importante, ce règlement favorisa la découverte de nouveaux filons grâce à des concessionnaires non mineurs qui utilisaient des mercenaires mineurs. Le gisement de l'Auriette fut exploité dans ces conditions.
Le règlement de 1731 confirmait l'interdiction à tout étranger à la Vallée de venir travailler à Rancié. Par la suite, l'usage n'admettra dans le corps des mineurs que les étrangers mariés à une fille de mineur.
On interdisait aux mineurs de développer des entrepôts de minerai à Sem. le minerai devait être exclusivement mis en vente sur le carreau de la mine où était installé une bascule avec des poids vérifiés et estampillés. La vente s'effectuait pour les maîtres de forges de la Vallée ou à leurs représentants, mais pouvait se faire à un prix un peu plus élevé aux acheteurs étrangers.
Les contrevenants à ces dispositions, s'exposaient à des amendes ou contraints par corps à la Maison de Ville (geôle).
Avec ce règlement les conditions de vie des mineurs et de leur famille ne s'améliorèrent pas.
Les éboulements étaient fréquents. Tous les membres de la famille étaient enrôlés aux travaux de la mine car il n'y avait plus assez de terres cultivables pour nourrir toutes les bouches. Les jeunes garçons de moins de dix ans transportaient le minerai hors de la mine et les fillettes du même âge conduisaient les convois de mulets, à raison de trois ou quatre voyages par jour, escaladant le chemin de Cavallère pour livrer le minerai aux entrepôts de Cabre. Ce travail était chichement payé.
Pour obtenir une exploitation satisfaisante, le Directoire départemental autorisa la nomination de deux mineurs commissaires de Police. Ils devaient éviter ou régler les conflits qui pouvaient se présenter entre les muletiers, acheteurs et mineurs.
Le climat ambiant révolutionnaire de 1789, autorisa les mineurs à exprimer des revendications. Ils émirent la faculté de fixer eux mêmes le prix du minerai à un taux supérieur à celui fixé. Cette possibilité, demandée en août 1789 et en mai 1796 avait été repoussée par l'Administration Départementale.
Ainsi, le règlement de 1731 fut mis à mal à plusieurs occasions malgré l'intervention strict de l'Administration. Pour faire pression, les mineurs raréfiaient leur production en la réduisant à deux hottes par jour au lieu des huit que fixaient les jurats. Les mineurs refusaient de peser le minerai. Ils l'enfermaient dans leur cabane ou le vendaient au plus offrant. Les actes de violence se multipliaient entre jurats et mineurs.
On s'en prenait aux piliers de soutènement de la mine. En 1796, de graves menaces d'effondrement apparurent dans la galerie de la Graillère qui assurait les trois quarts de la production du minerai. Face à ce péril, les autorités firent appel en 1801, à l'ingénieur des mines Brochin, chargé d'étudier la situation et de proposer une nouvelle réglementation.

  • E) Le règlement de la mine de 1805

Le règlement élaboré par l'ingénieur des mines Brochin fut promulgué le 29 juin 1805 par le préfet de l'Ariège qui devint le tuteur de la mine de Rancié en remplacement de l'Administration consulaire de la Vallée de Vicdessos.
Les dispositions de ce règlement représentaient 42 articles et en particulier :
Les quatre jurats étaient nommés par le préfet et renouvelés chaque année pour moitié. Ils étaient choisis sur une liste de mineurs élus lors d'une assemblée des mineurs de Sem, Goulier et Olbier convoquée par son président, le maire de Sem. Ils pouvaient être rééligibles. Ils avaient sensiblement les mêmes fonctions que dans le précédent règlement de 1731
La vente du minerai était exclusivement organisée sur le carreau de la mine équipé de bascules étalonnées et les acheteurs étaient servis dans leur ordre d'arrivée.
Le préfet fixait le prix du minerai sur l'avis d'une commission composée de quatre mineurs élus et de quatre Maîtres de forges désignés par l'administration. Une augmentation du prix était soumi au préfet via une pétition remise au maire de Sem ou aux jurats.
Les attroupements, séditions, suspensions de travail dans le but de faire pression pour obtenir une hausse du prix du minerai, étaient formellement interdits.
Les mineurs qui découvraient de nouveaux filons pouvaient l'exploiter en association avec d'autres mineurs pour une concession de cinq ans renouvelable.
Les vieux principes de la propriété collective de la vallée et du droit au travail des habitants de la vallée, n'était pas remis en cause, mais était intégré dans l'organisation hiérarchique de l'empire au travers du Préfet de l'Ariège.
Le Patriciat de Vicdessos demeurait la grande puissance économique de la vallée. Le minerai servait à asseoir le statut florissant des Maîtres de forges de la vallée.
Ces nouvelles dispositions réglementaires ne réduisirent en rien les effondrements et tragédies dans la mine. C'est alors que le 2 mai 1811, le nouvel ingénieur en chef d'Aubuisson des Voisins, succéda à Brochin. Il consacra sa vie à la mine pendant trente ans. A son arrivée, seules deux galeries, la Craugne et l'Auriette étaient encore en activité mais l'état de délabrement était inquiétant. De 1812 à 1819, d'Aubuisson entreprendra des travaux de sécurisation dans ces deux galeries. Pour la Craugne, il fit percer la galerie d'accès Saint Louis dans laquelle on pouvait utiliser la brouette.
La prospection de nouveaux gisements poussa d'Aubuisson à faire percer de 1820 à 1825 la galerie de Becquey à proximité du village de Sem. On atteignit une importante couche de minerai de 120m de long, 31m de haut et 7 à 8m d'épaisseur en moyenne. Certains travaux furent abandonnés par manque de rentabilité. Ces travaux ne furent réalisés que grâce au fond spécial alimenté par une taxe de cinq centimes perçue sur les quintaux de minerai vendus. Les mineurs s'en prirent souvent aux bureaux d'octroi chargés de percevoir cette taxe.
Par souci d'efficacité, d'Aubuisson souhaitait pouvoir changer les mentalités d'exploitation :
Dès 1813, il demanda la nomination d'un conducteur de travaux. Cette fonction sera assumée avec compétence par le maire de Sem.
En 1814, un ingénieur des mines en résidence à Vicdessos secondait d'Aubuisson qui résidait à Toulouse comme ingénieur en chef.
Il forma des mineurs spécialistes au maniement de la poudre.
Il fit interdire le travail des enfants de moins de dix ans. Cette décision fut assez mal appréciée par les mineurs qui y voyaient une baisse de leur revenu.
Il chercha à donner aux mineurs méritants une compétence au service des autres mineurs.
Cette politique ne manqua pas de susciter certains sarcasmes de la part de notables Maître de forges comme Vergnies-Bouischères alors maire de Vicdessos. Il écrivait en 1818 : Suivant moi, le mineur de Rancié n'aurait besoin de savoir, rigoureusement parlant, que croire en dieu, écouter son curé et suivre ses conseils, faire des sabots, bien manier la pic et obéir à l'autorité chargée de le diriger. S'il sait lire, il se croira savant et, dès lors, le travail des mines lui paraitra un asservissement auquel il croira devoir se soustraire". ces quelques lignes donnent l'état d'esprit que pouvait avoir le Patriciat à l'égard de la population des mineurs de Rancié.
La vie de la mine en ce début du XIX e siècle était assez houleuse. Le 14 mars 1816, de nouvelles dispositions modifièrent les modalités de désignation des jurats. La liste des candidats devait être approuvée par l'Assemblée des Maires des huit communes de Vicdessos. Deux des jurats devaient être de Sem, un de Goulier et un d'Olbier. Les candidats devaient au moins avoir travaillé trois ans dans la mine. Un arrêté préfectoral du 13 décembre 1817 abolit le "droit au travail". Désormais, le nombre des mineurs fut contingenté et l'on n'en accepta de nouveaux que si les besoins l'exigeaient.
Les mineurs s'opposèrent à ces atteintes à leurs droits ancestraux. La menace d'exclusion des mineurs et la misère des familles conduisirent à des situations explosives. Des grèves quasi insurrectionnelles éclatèrent en 1818. Une cinquantaine de gendarmes et d'hommes de troupe occupèrent pendant plusieurs jours les villages de Sem et Goulier. De nouvelles occupations militaires eurent lieu en août 1830 à cause du soulèvement des mineurs lié aux événements de la guerre des Demoiselles et au saccage du bureau d'octroi de Sem. Des mineurs furent condamnés à de la prison ou à des amendes.

  • F) Le règlement de la mine de 1833

Depuis l'abolition des droits féodaux le 4 août 1789, la propriété du gisement de Rancié n'avait plus aucune base légale. On pouvait admettre que le sous-sol appartenait à l'état mais le droit d'exploitation était devenu vacant. Le gisement faisait beaucoup de convoitise et même Napoléon 1er avait eu la pensée de faire de Rancié la dotation d'un Maréchal d'Empire. Alarmé par cette situation, le Patriciat de la Vallée, craignant qu'à la faveur d'une amitié politique, la concession se voit un jour accordée à un étranger, déposa une demande de concession au nom des huit communes du Vicdessos.
Le Conseil Général des Mines qui était en charge de l'affaire eu l'idée de réserver la concession aux seules communes minières de Sem, Goulier et Olbier, mais sous la pression du Patriciat, le conseil déclara les huit communes de la Vallée de Vicdessos "concessionnaires des Mines de Rancié" dans l'article 1er de l'Ordonnance royale de 1833. De nos jours, cette Ordonnance est toujours en vigueur.
Parallèlement, un nouveau règlement en 96 articles fut promulgué :
Il affirmait la souveraineté du Préfet de l'Ariège au Rancié en matière d'administration et de police.
La direction de la mine fut confiée à l'ingénieur en Chef assisté d'un ingénieur résidant à Vicdessos et d'un conducteur de travaux.
Les Jurats étaient désormais au nombre de 5 nommés pour cinq ans par le préfet et renouvelable chaque année par cinquième. Il y avait ainsi 2 Jurats de Sem, 2 de Goulier et 1 d'Olbier pour 401 mineurs.
Ce règlement prévoyait pratiquement les moindres incidents d'exploitation et reprenait dans l'ensemble les dispositions coercitives des précédents.
Les Jurats devaient contrôler la qualité du minerai, interdisaient l'accès de la mine aux enfants et mineurs malades ou ivres.
Les heures de travail étaient identiques.
Le prix de vente du minerai restait fixé par le Préfet après avis de la commission composée de 4 mineurs, 4 Maîtres de forges et de l'ingénieur.
Sur le carreau de la mine, les mineurs avaient une baraque où ils entreposaient les outils et le minerai de la journée invendu. Les jurats assuraient la gestion de ces emplacements.
Le nombre des mineurs était fixé chaque année par le Préfet en fonction des besoins. Les postulants devaient lui adresser une demande qui était acceptée ou refusée après avis de l'ingénieur et des maires.
Le règlement introduisait dans la mine des techniciens qui étaient chargés de moderniser l'exploitation. Mais cet objectif de productivité s'opposait à celui des mineurs qui cherchaient à donner du travail au maximum de familles et laisser du minerai aux générations à venir.
Ainsi, le corps des mineurs était en désaccord avec les solutions de modernisation de l'exploitation et en particulier sur les solutions pour évacuer le minerai dans la vallée. Les projets d'une route carrossable entre Vicdessos et Sem, de plans inclinés automoteurs de wagonnets (la masse des wagonnets pleins devait animer le système) initiés par les ingénieurs Bergès et François en 1837-1838, ainsi que les câbles transporteurs devaient à terme supprimer l'activité de transport à dos de mulets des femmes et enfants.
Le milieu du XIX e siècle, allait être une période faste pour la mine grâce à une demande en fer soutenue pour construire le réseau de chemin de fer français. Mais cette situation sera de courte durée en raison de l'entrée en France de fer et aciers à des prix bien inférieurs à ceux produits par les forges à la catalane.
Les ingénieurs de Rancié étaient soucieux de la révolution technologique qu'engendraient les hauts-fourneaux, mais le Patriciat des Maitres de forges, qui profitait de la hausse de la demande en fer, n'avait pas conscience que la technique catalane, de conception artisanale, était désormais condamnée par les hauts-fourneaux.
La Société Métallurgique de l'Ariège avait installé à Tarascon sur Ariège des hauts-fourneaux en 1867-1868. Quelques années plus tard, seules les Forges du Saut-du-Teil, près de Niaux demeuraient en Production.
Suite au déclin des forges traditionnelles à partir de 1870, la Mine de Rancié était devenue dépendante des achats de la Société Métallurgique d'Ariège. La production de minerai était à son maximum jusqu'en1880.
A cette période, bien qu'opposés aux innovations d'exploitation, les mineurs acceptèrent l'utilisation de la poudre et de lampes à acétylène.
En 1873, il y avait 560 mineurs qui devaient extraire jusqu'à 8 "voltes" de minerai par jour. Pour répondre à la demande et contraints à plus de productivité, les mineurs négligèrent les règles d'exploitation. Ils s'attaquèrent aux piliers de soutènement, favorisant les éboulements. Le grand gîte de Becquey fut inaccessible le 30 décembre 1881 suite à un effondrement et la galerie de Sainte Barbe fut arrêtée le 10 mai 1882.
En 1883, il fut décidé le percement d'une nouvelle galerie un peu plus bas qui sera dite la "République". En 1891, la galerie de base fut achevée mais plus aucun travaux de prospection ne fut entrepris. Déjà l'exploitation de la mine ne permettait plus d'assurer du travail à toutes les familles des trois villages miniers. Dès 1880, le déclin démographique de Sem, Goulier, Olbier débutait.

  • G) Le règlement de la mine de 1893

L'administration, consciente des difficultés futures, promulgua la loi du 15 février 1893 et le décret du 24 avril1893 qui débouchèrent sur un dernier règlement donnant aux mineurs une plus grande participation dans la gestion de la mine :
Ce nouveau règlement confiait l'administration de la mine à un conseil de onze membres élus par les Conseils Municipaux des huit communes de la vallée. (2 conseillers pour Vicdessos, Sem, Goulier-Olbier et 1 pour Illier-Laramade ? Orus, Auzat, Saleix, Suc-Sentenac). Ce conseil d'administration de la mine qui suppléait au Préfet nommait le Directeur des travaux et choisissait les mineurs qui théoriquement étaient issus d'une des huit communes.
Les usages antérieurs étaient repris.
La grosse innovation résidait dans le fait que les mineurs seraient salariés. La direction de la mine se chargeait désormais de la vente du minerai qui était en quasi totalité réservée à la Société Métallurgique de l'Ariège.
En 1896, pour améliorer les coûts de revient et malgré l'opposition des mineurs, la Société Métallurgique de l'Ariège.
En 1896, pour améliorer les coûts de revient et malgré l'opposition des mineurs, la Société Métallurgique de l'Ariège finança la construction du câble transporteur du minerai entre l'exploitation de la "République" et Cabre, supprimant le travail des muletiers.
Soucieux de la rentabilité de la mine, les directeurs d'exploitation rechignaient à enrôler de nouveaux mineurs à un effectif déjà disproportionné. Les mineurs s'opposèrent à l'administration sur un terrain syndical et politique.
En 1904 des troubles graves éclatèrent à Sem. Les mineurs revendiquaient une revalorisation de leurs salaires. Ils dynamitèrent la maison de l'ingénieur Directeur Séris. L'Etat profita de ces événements pour retirer ses techniciens. La direction de la mine tomba entre les mains d'une équipe de mineurs de bonne volonté mais incompétente. Très rapidement, l'anarchie s'installa dans les galeries de la République et de Sainte-barbe.
Ces conflits mirent à rude épreuve l'équilibre financier. En 1912, le Conseil d'Administration dut faire appel aux subventions du Conseil Général pour pouvoir poursuivre les travaux d'extraction.
La Guerre de 14/18 raviva l'exploitation mais à partir de 1919, la mine vivota avec une centaine d'ouvriers.
Le 18 décembre 1928, un énorme éboulement fit trois morts, deux blessés graves et une vingtaine de contusionnés dans la galerie de Becquey et de la République. Cette catastrophe fut le prétexte qu'attendait le Service des Mines pour interdire l'exploitation par l'arrêté préfectoral du 15 décembre 1929.
Un essai de remise en exploitation en mai 1930 fut entrepris par la Société Commentry-Fourcambault-Decazeville qui avait pris en mains les hauts-fourneaux de Tarascon sur Ariège. Mais cette tentative échoua avec les conséquences de la crise économique de 1929.
Ainsi l'exploitation du minerai de Rancié s'est arrêtée après deux millénaires pour n'avoir pas remis en cause à temps l'archaïsme de son organisation.

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