Le passé de la région d'Auzat-Vicdessos durant la période révolutionnaire jusqu'à l'empire

A la nouvelle de la convocation des Etats Généraux fin 1788, la région manifestait une volonté de changement. Comme dans le reste de la France, les cahiers de doléances pointèrent cette volonté de rompre avec leurs difficultés d'existence. Les cahiers du Tiers Etat réclamaient une représentation double du tiers aux Etats Généraux, la périodicité de ces Etats Généraux, le vote par tête, l'établissement d'une constitution, une profonde réforme des Etats Provinciaux, de la justice, de la fiscalité, de la liberté des individus et de la presse, l'égalité d'accès aux fonctions, l'abolition des droits seigneuriaux, des douanes et taxes sur l'économie, le rétablissement des pouvoirs communaux, l'amélioration de l'assistance, de l'enseignement et de l'agriculture, le respect de la propriété. En Vicdessos, on réclama une juste répartition des pouvoirs dans la vallée, le droit de charbonner, le droit de pacage, le maintien des privilèges.

  • 1) Les faits politiques de la période révolutionnaire.
    1. Les entités administratives nées de la révolution :
      C'est durant l'hiver 1789-1790 que fut mise en place les nouveaux découpages administratifs avec leurs administrations :

      Des notables de certaines cités menèrent des discussions acharnées et violentes pour s'approprier les structures administratives qui découlaient de la création le 18 janvier 1790 du département de l'Ariège. Vadier apaisa les susceptibilités en offrant la possibilité à Foix, Pamiers et Saint-Girons de devenir Chef-lieu alternativement, mais dans les faits le Chef-lieu ne quitta jamais Foix, malgré les protestations de Pamiers qui était Chef-lieu de province sous l'Ancien Régime. Le département de L'Ariège recouvrait une superficie de 489 387 hectares.

      Le département devait être divisé en districts, cantons et communes avec des tribunaux à chaque échelon. Vicdessos était devenu le Chef-lieu d'un des Cantons du district de Foix-Tarascon. Des querelles apparurent en 1790 dans le Vicdessos pour définir les municipalités que prévoyaient les dispositions de novembre 1789. Les notables de la ville, détenteurs depuis longtemps de tous les pouvoirs et craignant plus que tout de perdre la police de la mine du Rancié, s'opposèrent aux paysans et aux mineurs des villages menés par François Galy, chirugien d'Auzat. Galy favorisa une double élection en février 1790. Les habitants de Vicdessos désignèrent des officiers municipaux pour chaque village et les habitants des villages élirent leur propre municipalité. Galy fut maire d'Auzat. Un clan aguérri aux affaires, qui avait des liens avec les responsables du district et du département, s'opposait à un autre plus proche des gens mais qui souffrait de son manque d'expérience, de ses erreurs, maladresses et de la perte de l'appui du clergé local qui l'avait d'abord soutenu. En 1792, on en était revenu à l'ancienne centralisation où la vallée de Vicdessos ne formait qu'une commune.

      Dans cette vallée de montagne aux particularismes marqués, il s'avéra difficile de trouver des personnes capables d'assurer les tâches qui devaient être dévolues aux nouvelles municipalités. Par exemple, la levée de l'impot tarda à être bien effectuée ainsi que la mise en place des administrations.
    2. Les résistances aux mesures de la constituante :
      La Révolution nationalisa les biens de l'église, supprima les ordres religieux et créa la Constitution Civile du Clergé en juillet 1790 en faisant des ecclésiastiques des fonctionnaires élus. Les prêtres devaient prêter serment de fidélité à la Nation, au Roi et de soutien à la constitution. Les anciennes circonscriptions furent supprimées et remplacées par un évêché par département. Il y eu un schisme entre le clergé qui avait prêté serment et celui qui s'y était refusé. Les premiers furent rejetés par les fidèles et condamnés par le Pape. Les autres étaient devenus hors la loi. En mai 1791, sur 372 prêtres ariègeois, 246 avaient juré, 63 avaient émis des restrictions, et 63 autres avaient refusés. Un bon nombre se rétractérent après la condamnation du Pape en 1791.

      La population soutint particulièrement son clergé qui n'avait pas fait allégeance à la Révolution. Dès 1791-1792, la population se montra violemment réfractaire au clergé jureur. A Gestiès, sur le bruit qu'il avait mangé et bu avant la messe de Noël, le curé jureur vit sa maison attaquée à coup de pierres et assiégée une nuit par des paysans armés de bâtons, haches et faux. Le curé de Suc dut lutter contre des paroissiens et la municipalité. Celui de Saleix réclamait des armes pour sa sécurité. Les réfractaires aux mesures révolutionnaires étaient donc tout puissants dans le Vicdessos et la région de Siguer.
    3. L'état de guerre et l'insécurité font le lit de la convention :
      Après la tentative de fuite de Louis XVI en juin 1791, les bruits de guerre et l'ordre de levée de volontaires vinrent aggraver l'agitation politique et religieuse. L'Ariège en général traîna les pieds pour procéder à la levée de troupes malgré la menace de l'Espagne et les rumeurs de collusion entre réfractaires, émigrés et espagnols. Les trois bataillons Ariègeois furent prêts début 1792 et leur cantonnement furent une contrainte financière supplémentaire pour les communes et la population.

      Le 20 avril 1792, la France était en guerre contre les pays de l'Europe et le 11 Juillet 1792 la patrie fut proclamée en danger.

      Les désordres, l'impunité des réfractaires et des complices d'émigrés conduisaient à des situations explosives.

      Des élections prévues du 3 au 16 septembre 1792 permettent d'élire à la Convention
      Joseph Lakanal issu de Serres et Jean François Baby procureur de la commune de Tarascon. Réunis le 21 septembre 1792, ils participèrent au vote de la mort de Louis XVI au sein de la convention.

      Après les élections, les administrations en place furent impuissantes pour mettre un terme aux désordres imputés aux réfractaires et arrêter les bandes de pillards. La population était hostile à la levée des bataillons de militaires.
    4. La période de la terreur :
      De septembre 1792 à juillet 1794, le gouvernement révolutionnaire, en réponse aux périls extérieurs et intérieurs ainsi qu'à une situation économique catastrophique, supprima les libertés individuelles et la vie démocratique. Le gouvernement instaura une économie collective et une centralisation absolue.

      Fayau et Gaston qui était le chef de file des patriotes devinrent représentants en Ariège et parcoururent le département du 30 mars au 28 avril 1793 épurant les administrations et sociétés populaires en arrêtant des "suspects". Chaudron Rousseau qui était représentant de Toulouse engagea une répression dans la région après un soulèvement de l'été 1793 contre des suspects et des pères de déserteurs.

      En octobre 1793, le comité révolutionnaire de l'Ariège organisé par Chaudron-Rousseau dressa une liste de suspects à arrêter et encouragea la délation. Le commissaire civil Jean-François Baby fit la chasse aux réfractaires en Vicdessos faisant tuer par maladresse un enfant lorsqu'il donna l'ordre de tirer sur des gens. Les arrestations nombreuses remplissaient des geôles de fortune faute de place.

      En mars 1794, Chaudron-Rousseau revint en Ariège pour procéder à de nouvelles épurations parmi des suspects et des prêtres, des membres de la société civile dont le grand ingénieur et maître de forge de Vicdessos Vergnies-Bouischères qui resta 9 mois en prison alors que sa famille fut consignée et ses biens confisqués.

      En somme la région du Vicdessos adhéra que très modérément à la préoccupation révolutionnaire.

      La guerre déclarée à l'Espagne le 7 Mars 1793 fut assez funeste pour les hommes mobilisés sur la frontière. Aux nombreuses désertions, il fut ordonné des exécutions sommaires pour l'exemple. La paix du 22 juillet 1795 fut pour eux un soulagement.
    5. La Convention thermidorienne :
      La chutte de Robespierre représentait la fin de la dictature des sans culottes. Les municipalités et la population respirèrent au retour des libertés. Les administrations et les tribunaux retrouvèrent leur pouvoir de 1791. On fit la chasse aux principaux responsables de la terreur comme Baby. Les prisons se rouvrirent. Les églises s'animèrent à nouveaux petit à petit. Après avoir souffert de la terreur, les royalistes se livreront à une contre révolution dont les horreurs n'auront rien à envier à celles de septembre 1792. On fit la chasse aux réfractaires qui bénéficièrent de la complicité des autorités locales.
  • 2) Les hommes et la vie quotidienne sous la révolution :
    L'Ariège fut le seul département qui apparut aussi intransigeant vis à vis du symbole de la Monarchie. Tous les députés de l'Ariège et en particulier Joseph Lakanal votèrent la mort du roi.
    La population dut s'habituer aux nouvelles conditions administratives et politiques. La langue française était devenue obligatoire pour pouvoir participer à la vie politique. Le peuple qui communiquait en dialectes en était écarté favorisant l'élection de notables locaux. On fit la promotion des fêtes révolutionnaires surtout durant la période de la terreur. Ces dernières étouffaient la spontanéité que le peuple avait lors des festivités traditionnelles.
    1. Les réformes de la période révolutionnaire :
      Les biens du clergé et de la couronne furent en vente dès 1790 et ceux des émigrés en 1793. Tous les biens ecclésiastiques de la région furent vendus et ceux des émigrés furent rachetés soit en sous-main, soit par des parents.

      Mais ces mesures qui devaient redistribuer des richesses aux plus pauvres avantagèrent en fait les plus aisés. Des fortunes naquirent des opérations de ventes spéculatives des biens nationaux qui en firent de nouveaux notables durant le premier empire.
      Tarascon se débarassa de ce qui restait de son château et de ses murailles en petits lots de peu de valeur.
      La maison de Sabart devait devenir hopital. En fait, on l'utilisa comme caserne et l'église comme écurie. En l'An III, un aubergiste de Tarascon racheta l'ensemble pour le revendre quelques semaines après à deux cents paroissiens du faubourg.

      Les réformes qui devaient toucher l'assistance publique trop dépendante de l'église, ne virent jamais le jour faute d'argent pour payer du personnel laïc et financer des moyens.

      L'enseignement public connu le même échec. On avait supprimé les régents liés à l'église. En 1793, on avait instauré l'enseignement primaire obligatoire et gratuit, mais faute de crédits en1794, on revint sur le caractére obligatoire et en 1795 sur la gratuité. En 1798, on constatait une situation où l'instruction publique désorganisée engendrait des lacunes éducatives importantes.

      A Vicdessos en l'An IX, les maîtres souhaitaient revenir au temps d'avant la révolution où il y avait 70 à 80 éléves. Seul une vingtaine d'enfants de bougeois profitaient de l'enseignement. Les instituteurs des villages étaient sans qualification.

      Même si l'utopie de changer la condition des gens anima les acteurs de la révolution, les faits prouvèrent qu'ils ne pouvaient changer le monde en faisant table rase du passé.
      Le système métrique qui devait uniformiser en 1789 les pratiques de pesées et de mesures ne s'imposa réellement dans le quotidien qu'en 1840.
      Cependant les principes de l'assistance et de l'enseignement public étaient posés
    2. Les crises économiques et de subsistances :
      Les récoltes de 1788 et 1789 étaient mauvaises, celles de 1790 étaient pires. De 1791 à 1793, on connaissait une crise sérieuse pour s'approvisionner en produits de première nécessité. On refusait d'échanger les produits contre les assignats et à partir de 1793, la mise en place du système du "Maximum" des prix sur les denrées encouragea les traffics et les spéculations. A Tarascon, en mai 1793, la municipalité ne pouvait plus fournir de pain et de viande.

      L'état de guerre portait la crise à son paroxysme. Les armées devaient être entretenues sur la région et particulièrement sur la frontière avec l'Espagne. On récupéra armes et métaux (y compris cloches, grilles d'églises) pour équiper les fantassins. Seguier-Lapique organisa un atelier départemental de salpêtre pour fabriquer des munitions. On réquisitionna les forges de Niaux, Siguer, tous les matériels et corps de métiers indispensables pour l'équipement de la cavalerie et le charroi, l'habillement et le ravitaillement des hommes et des hopitaux.

      L'économie de guerre se rajoutant à une période de mauvaise récolte conduisait la population à survivre. L'hiver 1794-95 fut long et rude et le printemps pluvieux décourageait la population.

      On aurait pu penser que l'économie de guerre pouvait profiter à la métallurgie. Il n'en fut rien. Les circuits économiques anciens et les équipes de forgeurs étaient désorganisés. Les forges marchaient peu car les maîtres de forge étaient soit partis en Espagne ou jetés en prison. Le minerai de fer ne pouvait plus être extrait et acheminé. Les mineurs du Rancié faute de quoi manger se consacraient davantage à la culture de leurs champs pour nourrir leur famille. Ils manquèrent aussi d'huile d'olive indispensable à leurs lampes depuis la fermeture de la frontière et donc travaillaient peu à la mine. Les transports étaient réquisitionnés par l'armée.

      Les bonnes récoltes de 1796 et 1797 amenèrent un mieux dans les campagnes, mais la mauvaise récolte de 1799 fit repartir les prix à la hausse et la spéculation.
    3. La résistance ariègeoise :
      Toutes les atteintes à la religion ont été fort peu admises par la population. On ne craignait pas de défendre les prêtres et de s'opposer au remplacement des fêtes religieuses par celles dictées par le calendrier révolutionnaire et de lutter contre le démentellement des biens et objets liés à la pratique du culte.
      La révolution portait atteinte à des pratiques séculaires avec l'Espagne. Les traditionnelles "lies et passeries" ne cessèrent pas, même si elles pouvaient paraitre trahir la nation. Les rapports traditionels de bon voisinage avec l'Andorre et la frontière espagnol concourraient à ce que le paysan ariègeois ne comprenne pas qu'il puisse prendre les armes contre des voisins et partenaires commerciaux.
      Le soutien du culte réfractaire, la désertion, le refus des réquisitions, l'opposition aux signes révolutionnaires étaient une forme de résistance passive plus qu'une rebellion, un refus de transgresser des valeurs séculaires plus qu'une opposition idéologique aux principe de la Révolution.
  • 3) Le premier empire
    1. La mise en place de l'administration de l'empire :
      Le Premier Empire réorganisa l'état et la société. A partir de l'An VIII, le pouvoir local fut concentré entre les mains du tout puissant préfet, nommé et révoqué par le Chef de l'Etat. Il désignait les fonctionnaires, exerçait la tutelle des communes et établissait la liste des notables investis d'une autorité.
      Les instances représentatives qui étaient le Conseil Général et les municipalités, étaient désignées selon un dosage de suffrage censitaire et de nomination impériale.

      Les administrations, la justice, la fiscalité et les finances étaient reprises en main.

      Le Concordat de 1801 amena la paix avec le Pape. La réorganisation de l'Eglise contrôlée par le pouvoir avait institué des évêques, curés et des pasteurs fonctionnaires.

      On rendit plus efficace, l'enseignement secondaire, l'assistance publique et le système hospitalier, les routes, la poste, la forêt.

      Grâce au suffrage censitaire, Napoléon contrôlait le pouvoir au travers de Notables fidéles choisis (propriétaires et industriels) et mis en place à partir d'une liste dressée par le prefet. On choisissait ainsi des Conseillers Généraux, Maires et administrateurs civils, judiciaires et religieux.
    2. La crise économique :
      Le blocus continental engendra une crise économique très perceptible en Ariège en raison du manque d'argent et d'un déséquilibre dans les échanges.

      En 1806, le prefet se plaignit de la mévente du fer et de la baisse des cours du bétail et de la laine. A partir de 1808, la rupture des relations avec l'Espagne priva l'élevage de son marché et l'industrie textile de ses laines. La remontée des prix en 1810, n'a eu que pour effet d'agraver l'état de disette. Les récoltes de 1811, très mauvaise accentuèrent les difficultés des gens qui se trouvaient confrontés de plus aux mesures de réquisition et de la conscription. On tenta de juguler la spéculation en réglementant le cours des céréales. On utilisait des produits de remplacement. On enseigna comment faire de la farine avec des pommes de terre. La mendicité fut interdite et on regroupa les indigents pour leur distribuer des soupes populaires.

      La récolte satisfaisante de 1812, ranima par la suite les marchés.
    3. La guerre :
      Après la mise en place de Joseph Bonaparte sur le trône d'Espagne en 1808, Napoléon ouvrit un front au sud de la France qui se rajoutait au front de l'Est et du Nord où déjà l'Ariège contribuait par la conscription.

      Pendant six mois l'Ariège se trouvait en première ligne face à la guérilla espagnole. On réquisitionna des mulets de bât, des conducteurs, des cordonniers, des bouchers, des boulangers etc... On enrola aussi des hommes pour renforcer les forces armées de Napoléon.
      Aprés les mouvements de force de Mai 1810 décidés par le général Miquel, le 8 octobre 1810 les espagnols étaient sur la montagne de Soulcem où ils enlevèrent le bétail et des biens de bergers. On appela aux armes à Auzat, Saleix et Vicdessos. Les menaces d'invasions générales étaient sérieuses jusqu'en 1812. Malgré quelques intrusions d'espagnols en armes à Merens, Ax, Les Cabannes et Tarascon, les espagnols furent contenus sur leur frontière.
      Même si l'Ariège a fourni quelques illustres soldats, tel le sauratois Justin Laffitte, général et Baron d'Empire, héros des guerres d'Orient, d'Italie, de Prusse et d'Espagne, la population ariègeoise résistait à la conscription depuis le simple citoyen au notable local. Les officiers de l'état civil falscifiaient leur registre en viellissant ou rajeunissant les personnes concernés par la conscription. La population cachait les jeunes gens quand les gendarmes arrivaient au domicile.


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